vendredi 6 mars 2009

[DIVERS] Interviews de Jenova Chen (thatgamecompany)



Afin de compléter quelque peu mon précédent test de Flower, je vous propose de lire une interview de Jenova Chen, interview menée par Eric Simonovici du site Overgame.com dont je ne connaissais pas l'existence, honte sur moi, avant d'avoir écouté le dernier podcast "Silence, on joue" de LibéLabo (podcast dans le lequel on retrouve Erwan Cario, journaliste à Libération, Clément 'Raggal' Apap, fondateur de Gamekult, ou bien encore Patrick Hellio du site Eurogamer.fr). D'ailleurs, je vous conseille à la fois le podcast de LibéLabo, qui est totalement différent de celui de Gameblog, et le site Overgame.com que j'ai découvert tout récemment donc et qui est vraiment intéressant dans son approche et surtout dans ses articles.

Parlons maintenant un petit peu de cette interview et de Jenova Chen. Jenova Chen est le fondateur de thatgamecompany, studio qu'il a créé avec Kellee Santiago en sortant de la fac. Jeune (20 ans à peine), il a une vision assez différente du média jeu vidéo et c'est cette vision qu'il nous apporte, avec tous les membres de TGC, avec des jeux comme Cloud (ci-contre) qui était en fait un projet de fin d'étude, ou avec des jeux comme flOw (image en haut à gauche) et maintenant Flower. Il y parle des jeux indé, fait des comparaisons audacieuses avec le cinéma, explique le public visé par des jeux comme Flower. Bref, c'est très intéressant de voir comment il perçoit l'avenir de ce média si jeune et pourtant déjà si enfermé dans ses genres existants et si refermé sur lui-même, n'osant plus vraiment innové... (évidemment, des jeux comme Braid ou Flower montrent la voie vers un autre jeu vidéo).


Interview de Jenova Chen chez Overgame : 1ère partie

2nde partie


Interview de Jenova Chen chez "Tale of Tales" : Interview en anglais





Mise à jour du 16 Septembre 2009 :

Comme le site d'Overgame est un peu décédé et que le nouveau Overjeu n'a pas toutes les archives d'Overgame, je me permets de copier-coller leur très bonne interview aussi.




Sorti il y a peu de fac jeu vidéo, le jeune designer de flOw et du prochain Flower a les idées bien arrêtées : pas question de "gâcher sa vie", Jenova veut être de ceux qui "poseront la première pierre". Entretien engagé avec l'un des fers-de-lance du mouvement indé.

Overgame : On parle de beaucoup de types de jeux différents actuellement, hardcore, casual... Qu'as-tu essayé de faire avec Flower ?

Jenova Chen : N'utilise même pas ces mots... Pense au jeu vidéo en termes de divertissement. Et qu'est-ce que c'est que le divertissement ? C'est les sentiments, l'émotion. Si tu as soif, tu vas boire, n'est-ce pas ? Si tu as faim, tu vas manger. Et les types de nourritures et de boissons à notre disposition ont évolué en même temps que nous, que notre désir naturel de goûter à des choses toujours plus sophistiquées. Il y a très longtemps, les hommes étaient organisés en tribus, constamment menacés par les animaux sauvages. A ce moment-là, les gens voulaient se sentir en sécurité, au chaud, et c'est pourquoi ils se rassemblaient autour du feu et ils dansaient. C'était ça leur divertissement.

Est-ce que tu es en train de me dire que nous sommes les hommes des cavernes du jeu vidéo actuellement ?
Non, non. Ce que je veux dire, c'est que nous avons toujours eu le désir de ressentir des choses différentes. Et si tu étudies les formes mûres de média telles que le cinéma, la littérature ou la musique, elles balaient toutes un spectre étendu de genres et ont toutes quelque chose à offrir à tous les individus, quel que soit leur âge, leur sexe ou leur humeur. Actuellement, le problème du jeu vidéo est que c'est un médium qui a démarré comme marché destiné aux jeunes, donc la plupart de la production offre un contenu émotionnel qui leur est destiné, très basé sur l'instinct : le désir de pouvoir, la vitesse, l'addiction... toutes ces sensations très viscérales. Mais quand tu deviens plus vieux, tes goûts et tes besoins émotionnels changent.

Tu n'as pas l'air très vieux pourtant ?
Je suis certainement assez vieux pour ne plus vouloir jouer à des FPS. Je joue depuis que j'ai 10 ans et j'en ai tellement assez des jeux actuels et de leurs thèmes. Tu peux créer un FPS qui soit très innovant mais généralement, ils se ressemblent tous.

Qu'est-ce que tu ressens lorsque tu joues à un FPS ?
Très puissant, surexcité, très viril.

Et ça ne t'intéresse plus de ressentir ça ?
Non, je ne veux plus ressentir ça. Parce que j'en ai assez. Quand j'étais petit, mon rêve était d'être un soldat de la Seconde Guerre Mondiale et d'aller me battre sur Omaha Beach. Et je me disais, ça doit être tellement génial, avec tous ces gens qui meurent autour de toi. Mais j'ai joué tellement de ces putain de jeux Seconde Guerre Mondiale... vingt ou trente, et je ne trouve plus ça génial du tout maintenant. J'ai dû aller sur Omaha Beach douze fois déjà. Pourquoi j'aurais encore envie d'y retourner ? Ce dont je parle se situe complètement à l'opposé du jeu vidéo classique parce qu'il nous faut un spectre complet d'émotions si l'on veut aller au-delà du public adulescent. Il ne faut pas que cette industrie termine comme celle du comic book américain, lue par une petite partie de la population seulement. On veut que le jeu vidéo devienne le prochain film. Tout le monde va au cinéma.

Tu ne penses pas que ce changement va venir naturellement, graduellement ?
Eh bien si tu es fainéant, tu peux te dire que oui, le changement va venir de toute façon, je peux continuer à jouer à mes jeux et foutre ma vie en l'air. Ou tu peux être militant et te dire, 'je veux faire partie de cette révolution pour des jeux vidéo différents, je veux être l'un de ceux qui vont poser les premières briques'. Et c'est ce que notre studio veut faire, créer de nouveaux jeux, générer de nouvelles émotions chez les joueurs... Même si c'est risqué mais ça plait à de nouveaux types de joueurs et c'est ça qui est important. Ce jeu que nous avions fait quand nous étions encore en fac, Cloud, avait beaucoup de fans, dont des gens de 50 ans. Je n'aurais jamais imaginé qu'ils puissent vouloir jouer à un jeu vidéo.

Qu'est-ce que tu penses de la Wii ?
Je pense que c'est une bonne machine. Le public de la Wii, c'est un peu cette génération de gens plus âgés qui ne pratique pas le jeu vidéo mais qui connait le tennis, le bowling... Nintendo arrive à les séduire mais, d'un autre côté, je n'ai pas l'impression qu'ils sont devenus des joueurs. Ils ne les ont pas convertis. Ils achètent la Wii parce qu'il y a Wii Sports ou Wii Fit dessus mais je ne les considère pas comme un nouveau marché pour nous. Regarde simplement le nombre de gens qui achètent des jeux pour la Wii. Donc je dirais que c'est une belle victoire pour Nintendo, mais pas tellement pour le reste de l'industrie.

Je te pose la question parce que beaucoup des thèmes dont tu parles - séduire de nouveaux joueurs, proposer des expériences différentes, les joueurs senior - sont également ceux de Nintendo.
Nous ne pourrions pas faire tourner Flower sur Wii. Techniquement, ça serait impossible.

Mais aimeriez-vous développer pour Wii ?

Oui. On a déjà discuté avec Nintendo et ils aimaient beaucoup Flower. Sony aussi aimait beaucoup Flower. On a juste choisi Sony. Ca ne veut pas dire que nous ne ferons pas un jeu pour Nintendo plus tard.

Avez-vous déjà des idées pour tirer parti des méthodes particulières de contrôle de la Wii ?
Bien sûr. Il y a toujours des idées. Les idées, c'est bon marché. Sérieusement. Très bon marché. Tout est dans la réalisation. On peut parler du film Spiderman, par exemple. C'est un film qui a reçu de très bonnes critiques et, pourtant, n'importe qui peut raconter l'histoire de Spiderman, Peter Parker, etc. L'important, ce n'est pas l'histoire mais comment elle est racontée. Je peux te dire que le concept de Flower est de jouer le rôle d'une fleur dans un champ. Il y a un millions de façons de créer un tel jeu. C'est un vrai travail d'équipe.

Quel est ton rôle dans cette équipe ?
Je suis responsable créatif. Donc je cherche des idées, je fais du game design, j'écris du code, je dessine des trucs... Mais je ne suis pas artiste, et je ne suis pas programmeur non plus ; il y a des gens dont c'est la tâche principale. Mon rôle est plutôt de canaliser le travail tout le monde en une vision cohérente.

Est-ce que c'est un jeu de Jenova Chen ou un jeu de thatgamecompany ?
Thatgamecompany bien sûr. J'ai toujours pensé que les réalisateurs de cinéma étaient surestimés. Steven Spielberg, par exemple, a son caméraman attitré, son monteur attitré, voire même son compositeur favori. C'est l'équipe Spielberg qui fait que ses films sont ce qu'ils sont. Mais les gens sont terribles avec les noms donc ils n'arrivent généralement à en retenir qu'un.


Dressant des parallèles avec l'histoire du cinéma, le designer voit dans la démocratisation des outils de développement et l'essor de la distribution numérique les composantes essentielles d'une diversification de la production jeu. La révolution est en marche.

Overgame : Qu'est-ce que cela fait d'être militant au sein du groupe Playstation ?
Jenova Chen : Les gens de chez Sony nous soutiennent beaucoup parce qu'ils veulent repousser les limites de ce que peut être un jeu vidéo. Et puis Everyday Shooter est aussi sur le Playstation Network, n'est-ce pas ? Il y a aussi eu Linger in Shadows, un produit de la demo scene que Sony a publié, et PixelJunk Eden... Tous ces jeux ont été créés avec des ambitions artistiques à la base. C'est la chose qui différencie le Playstation Network du Xbox Live, par exemple, bien que le Xbox Live se lance aussi dans l'indépendant avec des titres comme Braid ou N.

Il y a aussi eu LostWinds sur WiiWare.
Oui mais LostWinds a été créé par une équipe énorme, proche des 70 personnes.

Vraiment ? Je me souviens avoir lu David Braben [NDR : fondateur du studio Frontier Developments] dire que le jeu avait été réalisé par une petite équipe en trois mois.
Non, non, tu devrais faire des recherches. C'est un énorme studio, capable de développer plusieurs titres en parallèle. Peut-être que seule une partie de l'équipe a travaillé sur LostWinds mais ça n'a certainement pas pris trois mois à faire.

Est-ce que ça les rend moins "indépendants" ?
Ils sont indépendants. Valve est indépendant. "Indie" ou "indé" en tant que terme utilisé pour qualifier ce genre de jeux ne veut plus dire grand-chose. Par exemple, on pourrait dire que nous ne sommes pas indépendants puisque nous sommes sous contrat avec Sony. Mais ça ne veut pas dire que notre jeu n'est pas indépendant. Le débat jeu indépendant contre jeu commercial n'est pas très productif, c'est plus intéressant de se demander comment on va faire évoluer notre médium, comment on va amener tous ces gens qui ne jouent pas encore dans notre monde. Et on se trouve justement à un moment où publier un jeu indépendant sur une plateforme commerciale n'a jamais été aussi accessible. La technologie est là, la distribution numérique est là...

C'est juste une affaire de technologie selon toi ? Où est le désir du public dans tout ça ?
C'est les deux. Si tu dresses un parallèle avec l'histoire du cinéma, le jeu vidéo est actuellement un peu comme l'a été le film durant les années 70. A l'époque, réaliser un long-métrage était très coûteux, les caméras, les pellicules étaient chères ; le cinéma était la chasse gardée des grands studios, il était impossible pour une petite équipe de se lancer. Mais dans les années 80, les premiers caméscopes sont apparus, le coût de réalisation d'un film est devenu de moins en moins cher et c'est là que l'on a commencé à voir tous ces films indépendants arriver sur le marché. Certains d'entre eux se sont révélés des succès parce que les gens étaient prêts, et ça a permis à des genres et à des réalisateurs très différents d'émerger sur la scène grand public.

On ne serait alors qu'au début d'une espèce de révolution indé ?
Oui. Maintenant, tu peux créer un jeu avec un petit budget et des idées intéressantes tandis que les gros studios traînent derrière eux des budgets énormes ; ils ne sont pas très réactifs, ne peuvent pas se lancer dans des choses trop risquées... tout comme dans l'industrie du cinéma. Qu'est-ce qui précipite ce genre d'évolution ? La technologie ou le marché ? Je crois que tous les médias se développent suivant des modèles bien précis. Et ceux-ci ont tendance à se répéter.

Le public mûrit, mais les créateurs aussi...
Oui, et il y a aussi l'éducation. Prends Georges Lucas ou Steven Spielberg. Ces réalisateurs ont fait partie de la première génération d'étudiants en cinéma. Quand ils ont eu leur diplôme, les gens rigolaient. "Quoi, il y a un diplôme de cinéma ?" Mais ils ont fini par conquérir le monde. Moi, je suis un peu dans la même situation, je fais partie de la première génération de gens à étudier le jeu vidéo dans un cadre académique. Quand je fais des stages dans les grands studios, la plupart des game designers sont autodidactes. Ils ont juste beaucoup joué et ont développé une espèce d'instinct. Mais quand je leur parle, je me rends compte nous venons d'univers différents. Nous, étudiants, avons la théorie, le vocabulaire... et tout cela complémente les compétences traditionnelles plutôt que de les remplacer. C'est une génération de game designers complètement nouvelle qui sort de ces écoles.

Est-ce que thatgamecompany prévoit de s'agrandir ? Est-ce que tu voudrais toi aussi conquérir le monde ?
Pour grossir, il faut de l'expérience. Moi ? Je suis sorti de fac il n'y a pas très longtemps. La plus grosse équipe avec laquelle j'ai travaillé faisait cinq personnes. Gérer une équipe de cinq ne veut pas dire que tu saurais gérer une équipe de quinze. J'ai encore beaucoup de chemin à faire. Et je pense que tu ne peux jamais être le roi. Déjà maintenant, je vois une génération plus jeune, mieux éduquée, qui a passé plus de temps à jouer... Je ne suis pas né avec les jeux vidéo. Et autour de moi, je vois tous ces jeunes implémenter des idées de game design meilleures que les miennes. Je ne crois pas que je puisse les surpasser. Tout ce que je peux faire est créer des jeux qui vont servir d'inspiration à cette nouvelle génération, afin qu'ils puissent se reposer sur notre travail et continuer à faire avancer le jeu vidéo.


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/me espère que thatgamecompany confirmera avec son prochain jeu qu'il est un studio sur lequel il faut compter.

Billet posté le 6 Mars 2009

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